J.O. Numéro 158 du 10 Juillet 1999       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 10268

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Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi d'orientation agricole


NOR : CSCL9903647X


Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre l'article 131 de la loi d'orientation agricole, adoptée le 26 mai 1999. Les auteurs de la saisine contestent la nouvelle rédaction que la loi donne à la première phrase de l'article L. 813-2 du code rural, qui dispose que « les formations de l'enseignement agricole privé peuvent s'étendre de la classe de quatrième du collège jusqu'à la dernière année de formation de techniciens supérieurs ».
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Cette réécriture du texte relatif aux missions des établissements d'enseignement agricole privés sous contrat tire les conséquences de la nouvelle définition, donnée par l'article 122 de la même loi, de celles de l'enseignement agricole public. Il introduit donc, dans l'article L. 813-2 du code rural issu de la loi du 31 décembre 1984, des modifications permettant de tenir compte de l'évolution intervenue, depuis cette date, en ce qui concerne l'organisation des collèges.
A l'appui de leurs recours, les députés saisissants font d'abord valoir que le texte adopté méconnaît le principe de liberté de l'enseignement en empêchant la création de certaines classes dans l'enseignement privé. Ils estiment que le législateur aurait dû prévoir l'alignement des possibilités ouvertes à ce dernier sur celles qui existent dans l'enseignement public. Faute de l'avoir fait, la loi créerait un monopole des établissements publics pour les préparations aux concours. En réservant ainsi l'existence de classes préparatoires au secteur public, le texte imposerait aux candidats aux concours d'accès à certains établissements d'enseignement supérieur l'obligation d'être scolarisés dans un établissement public. La loi se traduirait, aux yeux des requérants, par une modification de l'équilibre réalisé par le législateur de 1984, débouchant sur une discrimination injustifiée, au détriment de l'enseignement privé.
II. - Cette argumentation ne saurait être accueillie, dès lors qu'elle se méprend, tant sur l'objet du texte critiqué que sur la portée des principes constitutionnels.
a) L'article 131 de la loi déférée n'a, en effet, ni pour objet ni pour effet de modifier l'équilibre issu de la législation antérieurement applicable à l'enseignement agricole privé.
L'équilibre issu des lois du 9 juillet 1984 portant rénovation de l'enseignement agricole et du 31 décembre 1984 portant réforme des relations entre l'Etat et les établissements d'enseignement agricole privés repose sur un parallélisme quasi complet entre les dispositions applicables au secteur public et celles qui organisent le secteur privé sous contrat. La différence est liée au régime particulier de l'enseignement supérieur. Les formations de l'enseignement public (art. L. 811-2 du code rural) peuvent s'étendre jusqu'à l'enseignement supérieur, englobant ainsi des établissements tels que les écoles supérieures d'agronomie, alors que les formations de l'enseignement privé s'arrêtent à la préparation du brevet de technicien supérieur (art. L. 813-2). Le régime des écoles supérieures privées relève d'une autre disposition du code (art. L. 813-10).
En l'état actuel du droit, la loi ne procède donc pas à un alignement intégral entre les deux secteurs. Se situant, comme la préparation du BTS, après le baccalauréat, les classes préparatoires aux grandes écoles n'ont cependant pas été incluses dans le périmètre de la contractualisation défini en 1984, parce qu'elles ne correspondaient pas à la vocation spécifique des lycées privés agricoles et qu'aucune demande n'avait été exprimée en ce sens par les responsables de ce secteur. Elles se trouvent ainsi exclues du champ de la contractualisation des établissements privés, telle qu'elle est définie par les dispositions de la loi du 31 décembre 1984, reprises aux articles L. 813-2 et suivants.
La loi contestée ne modifie nullement cet état du droit. Dans l'article L. 813-2 actuel, comme dans celui qui résultera de la loi adoptée, le champ de la contractualisation demeure exactement le même. Si la rédaction contestée par les auteurs de la saisine a été adoptée, c'est seulement parce que l'article 122 de la présente loi a légèrement modifié l'article L. 811-2 du code rural, pour tenir compte de l'actuelle organisation du collège en cycles : l'expression « de la première année du cycle d'orientation » a été remplacée par la formule « de la classe de quatrième du collège », ce qui n'induit aucun changement pratique, mais évite de se référer à la notion de « cycle », qui a évolué depuis 1984. La même formule a donc été utilisée pour modifier corrélativement l'article L. 813-2, sans pour autant affecter le champ d'application du mécanisme d'aide organisé par le législateur de 1984. Telle est donc la seule portée de la disposition contestée.
Il est ainsi clair que l'article 131 de la loi déférée n'affecte pas le champ de la contractualisation tel qu'il a été délimité par la loi du 31 décembre 1984. C'est donc, en réalité, à cette dernière loi que s'adressent les critiques des requérants. Or cette loi ne méconnaît elle-même aucun principe constitutionnel.
b) Les principes invoqués n'ont, en effet, pas la portée que leur prêtent les requérants :
1o S'agissant, en premier lieu, du principe de liberté de l'enseignement, la reconnaissance de son statut constitutionnel résulte de la décision no 77-87 DC du 23 novembre 1977. Cette liberté implique le droit pour toute personne physique ou morale remplissant les conditions minimales d'ordre public d'ouvrir un établissement scolaire, le respect par l'Etat du caractère propre des établissements privés, et le droit pour les familles de choisir la méthode d'enseignement de leurs enfants.
Cette décision relève par ailleurs que si l'Etat a l'obligation d'organiser un enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés conformément à l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution, l'octroi d'une aide de l'Etat à l'enseignement privé n'est pas exclu. L'Etat a donc la possibilité d'allouer des aides aux établissements d'enseignement privés dans des conditions définies par le législateur. De manière générale, le principe, rappelé par la décision no 93-329 DC du 13 janvier 1994, est « que le législateur peut prévoir l'octroi d'une aide des collectivités publiques aux établissements d'enseignement privés selon la nature et l'importance de leur contribution à l'accomplissement de missions d'enseignement ».
C'est ainsi que la loi Debré du 31 décembre 1959 a pu fixer un régime d'association des établissements secondaires au service public dont ne bénéficient pas, à la différence de l'enseignement supérieur agricole privé, les établissements supérieurs privés régis par la loi du 12 juillet 1875. La loi peut donc fixer des modalités de financement différenciées selon les formations, sous réserve de déterminer les critères objectifs auxquels doit obéir l'octroi de ces aides.
Appliqué au cas d'espèce, le principe de liberté de l'enseignement interdirait sans doute au législateur de faire obstacle à ce que l'initiative privée prenne en charge l'organisation de classes préparatoires aux grandes écoles qui dispensent un enseignement supérieur dans cette matière.
Mais ni les dispositions de la loi de 1984 ni, par conséquent, celles de la présente loi n'impliquent une telle interdiction. C'est donc à tort que les requérants soutiennent que la loi institue un monopole au profit des établissements publics pour la préparation aux concours. En effet, les termes de l'article 131 suivant lesquels « les formations de l'enseignement agricole privé peuvent s'étendre de la classe de quatrième du collège jusqu'à la dernière année de formation des techniciens supérieurs » n'ont pas pour effet d'interdire aux établissements d'enseignement privés de dispenser des formations allant au-delà des classes de BTS. Ces dispositions ont simplement pour effet d'exclure ce type de formation des régimes spécifiques de subvention organisés aux articles L. 813-8 et L. 813-9 du code rural.
Au demeurant, on observera que l'Etat subventionne d'ores et déjà, dans le cadre du régime de la loi Debré, des classes sous contrat qui préparent aux concours d'entrée dans les écoles supérieures agronomiques et vétérinaires dans des établissements privés d'enseignement général. Sur le plan des principes, il importe peu que ces classes préparatoires soient financées dans le cadre de la loi Debré plutôt que dans celui du régime propre à l'enseignement agricole.
En tout état de cause, ces principes n'impliquent nullement l'obligation, pour le législateur, d'instaurer un mécanisme assurant un alignement absolu du secteur privé aidé sur le secteur public. Ils n'imposent donc pas à l'Etat de financer les classes préparatoires des lycées agricoles privés du seul fait qu'il en existe, par ailleurs, dans les lycées agricoles publics.
2o Quant au principe d'égalité de traitement entre les élèves des lycées agricoles publics et privés, il ne saurait davantage être utilement invoqué pour contester la loi déférée.
Comme le montre l'arrêt du Conseil d'Etat du 22 mars 1941 dont se prévalent les requérants, ce principe se traduit essentiellement par la prohibition de toute discrimination, entre les élèves issus de l'enseignement public et ceux dont la scolarité s'est déroulée dans les établissements privés, quant aux conditions d'accès à des formations supérieures ou de présentation à des concours. Telle n'est évidemment pas la portée des dispositions contestées.
Quant au fait, relevé dans la saisine, qu'un élève issu de l'enseignement privé, ne trouvant pas de classes préparatoires dans son lycée, pourrait être conduit à changer d'établissement pour suivre une préparation dans un lycée public - tout comme, d'ailleurs, un élève de l'enseignement public scolarisé dans un lycée qui ne comporte pas de telles classes -, il ne saurait, par lui-même, constituer une méconnaissance du principe d'égalité.
En tout état de cause, il est loisible au secteur privé d'organiser de telles préparations, le cas échéant dans des conditions permettant de bénéficier du régime de la loi Debré.
En définitive, le Gouvernement considère que les critiques adressées à l'article 131 de la loi d'orientation agricole ne sont pas fondées, et que cet article ne pourra donc qu'être déclaré conforme à la Constitution.